Réception de l'Académie brésilienne des Lettres, à l’Académie française

Le 23 juin 2005

Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE

Discours pour la réception de l’Académie brésilienne des Lettres

le jeudi 23 juin 2005

à l’Académie française

par Mme Hélène Carrère d'Encausse
Secrétaire perpétuel

 

 

Monsieur le Président de l’Académie brésilienne des Lettres,
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mes chers confrères des deux Académies aujourd’hui réunies,
Mesdames et Messieurs,

 

Le mardi 23 janvier 1872, en ce palais que nous devons au Cardinal Mazarin, l’Académie française reçut un visiteur exceptionnel, l’Empereur du Brésil, Pedro II. Il prit part aux travaux de notre Compagnie, comme le font depuis trois siècles et demi les chefs d’Etat, très peu nombreux, conviés à nous rejoindre pour une séance fermée, s’entretint ensuite longuement avec chacun des académiciens et inspira à celui qui était alors Secrétaire perpétuel, Henri Patin, cette conclusion inscrite au procès verbal :

« Des diverses visites de souverains dont l’Académie, dans le cours de sa longue existence, a été honorée, nulle assurément n’aura dû laisser après elle un plus agréable souvenir ».

On comprend aisément le sentiment d’admiration exprimé par notre confrère. Comment l’Académie aurait-elle pu rester insensible à la puissante personnalité de l’Empereur Pedro II. Homme d’Etat remarquable, mais aussi Empereur-Philosophe, il encouragea le progrès de l’instruction publique. Et il tenait, comme l’a écrit l’historien Victor Tapié, à ce que, « par la présence de savants étrangers et par le développement d’une littérature brésilienne – c’est l’époque du poète Gonçalves Dias et du romancier Jose de Alencar – les choses de l’esprit fussent en honneur dans l’Empire ».

Le Brésil est une part inséparable de l’imaginaire français. Dès la découverte du nouveau monde la France en a rêvé et des Français se sont embarqués pour votre pays. Une première expédition atteignit vos côtes en 1504. Villegagnon s’installa un demi-siècle plus tard à l’entrée de la baie de Rio et le roi Henri IV nomma en 1604 un « vice-amiral des côtes du Brésil » dont le corps expéditionnaire fonda en 1612 la vile de Saint Louis du Maragnan, dans l’île de Maranha, l’une des patries de notre Secrétaire perpétuel honoraire, Maurice Druon.

Mais plus que ces équipées et installations éphémères, ce sont les liens de l’esprit qui au fil des siècles nous ont réunis. Nous devons à nos confrères Fernand Braudel et surtout à Claude Lévi-Strauss d’avoir appris et compris la diversité, la splendeur et la richesse de votre histoire, de votre culture et de vos usages. Nous devons à Blaise Cendrars, que ses amis appelaient, faisant référence à sa passion brésilienne, Brésil Cendré, de savoir combien votre pays est ouvert à tous ceux qui ont l’énergie de s’engager sans réserve dans ses espaces immenses. Et les années terribles de ce siècle auront montré que le Brésil était la terre d’accueil de tous les esprits libres et de tous les persécutés, Georges Bernanos et Stefan Zweig en ont témoigné. Ce dernier comparant la barbarie qui ravageait alors l’Europe à l’esprit de tolérance régnant au Brésil, n’a-t-il pas écrit « J’ai compris que je venais de jeter un regard sur l’avenir du monde ».

Nous avons en commun une culture et une sensibilité particulières, à la croisée des héritages latin et atlantique, du Nord et du Sud, antique et moderne. La dimension de nos pays diffère certes. Vous couvrez presque un continent, la France ne couvre que 549 000 Km², mais nous avons pourtant le sentiment d’appartenir à un même univers, de former une seule communauté, celle de l’esprit, celle de la latinité.  

C’est le Brésil que nous saluons aujourd’hui certes, mais c’est aussi et avant tout l’Académie brésilienne des Lettres. Elle a été fondée, il y a cent huit ans, sous la présidence d’un écrivain prestigieux, poète, romancier, dramaturge, Machado de Assis. Vous nous êtes, chers confrères brésiliens, très proches. Votre Compagnie s’est inspirée des idées du Cardinal de Richelieu lorsqu’il fonda la nôtre. Comme nous, vous êtes quarante. Comme nous vous êtes attachés à un rituel rigoureux qui rappelle le nôtre et dont le premier signe est notre costume. Simon Leys, grand connaisseur de la culture chinoise qui a assisté il y a quelques jours à une séance solennelle des académies nous a dit ensuite : « La fréquentation de Confucius m’a appris que les rituels étaient fort nécessaires à la préservation des civilisations ».

Vous siégez depuis 1923 dans un palais qui est la réplique du Petit Trianon. Il vous fut donné par la France après qu’il l’eut représentée à l’exposition commémorant à Rio le centenaire de l’Indépendance du Brésil. En y tenant séance vous devez parfois penser que vous êtes transportés à Versailles. Et en allant à Versailles, au Petit Trianon, c’est souvent à vous que nous imaginons faire visite. Comme nous vous êtes les défenseurs de votre patrimoine linguistique et littéraire, et nos travaux se ressemblent. Mais à la différence de l’Académie française, vous accueillez des membres étrangers. Et vous faîtes la part belle à la France. Vous comptez parmi vos membres élus depuis un siècle seize Français dont cinq membres de notre Compagnie. Trois nous ont quittés hélas, Georges Duhamel, André Maurois et Roger Caillois. Mais deux, Maurice Druon et Jean d’Ormesson vont dans un instant prendre la parole. Parmi nos autres compatriotes choisis par vous il en est un dont je veux évoquer le nom, car vous l’aurez consolé de n’avoir pu entrer dans notre Compagnie, c’est Emile Zola, l’un des occupants de ce que nous nommons le 41fauteuil, celui de nos regrets ou repentirs. De cette réparation je tenais à vous remercier.

Votre venue parmi nous nous est un très grand honneur et nous comble de joie. Pour ce qui unit nos deux pays. Pour les liens fraternels qui existent entre nos deux académies. Permettez-moi de vous exprimer au nom de toute notre Compagnie notre affectueuse gratitude. Et de vous dire bienvenue parmi nous, chers confrères et même frères brésiliens.