Discours de réception de l’Abbé de Choisy

Le 25 août 1687

François-Timoléon de CHOISY

Difcours prononcé le 25. Août 1687. par Mr. l’Abbé de CHOISY, lorfqu’il fut reçû à la place de Mr. le Duc de Saint Aignan.

 

MESSIEURS,

Si les loix de l’Académie me le permettoient, je garderois aujourd’hui un filence refpectueux. J’imiterois les nouveaux Cardinaux, qui en prenant leur place dans le facré College ont quelque temps la bouche fermée ; & je ne fongerois qu’à me taire jufqu’à ce que vous m’euffiez appris à bien parler. Mais il faut obeïr à la coutume, il faut que ma reconnoiffance paroiffe. Et de quelles expreffions pourray-je me fervir pour vous la montrer toute entiere ? Comment vous marquer la joye dont je me fens penetré en me voyant affocié à ce qu’il y a de plus grand & de plus illuftre dans ce Royaume ?

C’eft icy que les premiers hommes de l’Eftat fe dépouillent de tout le fafte de la grandeur, & ne cherchent de diftinction que par la fublimité du Genie & par la profonde capacité ; car MESSIEURS, ce n’eft ni la naiffance feule, ni les feules dignitez qui rendent voftre Compagnie fi celebre. Il ne fuffiroit pas pour entrer chez vous, d’avoir paffé par les plus grands emplois ; l’Efprit & le Sçavoir vous ont ouvert la porte de l’Académie. C’eft ce qui vous diftingue du refte des hommes, & qui fait admirer parmi vous des Theologiens fublimes, des Philofophes penetrans, des Poëtes & des Orateurs du premier ordre, & des Hiftoriens qui feront paffer à nos neveux les merveilles de noftre fiecle.

Quand je me vois placé entre tous ces grands hommes, que deformais j’appelleray mes Confreres, je me fens excité par une noble émulation à fuivre des exemples qui me vont eftre familiers. L’affiduité à vos Affemblées me tiendra lieu de merite, & peut-eftre m’en donnera. Je croy déjà fentir en moy l’efprit de l’Académie qui m’éleve au deffus de moy-mefme, & j’en ay befoin pour reparer la perte que vous avez faite. Elle eft grande, MESSIEURS, celuy dont je remplis la place merite vos regrets & nos louanges.

A peine eft-il forti de l’enfance, qu’il marche aux combats & à la gloire fur les traces de fes Anceftres. Il eft bleffé au combat de Vaudrevange, au fiege de Dole, & plus dangereufement à celui de Graveline ; & fi dans la fuite il cherche par tout les occafions de faire éclater fa valeur, c’eft que cette valeur, cette ardeur de gloire qui fait les Heros, rempliffoit fon cœur, & que trop grande & trop vive pour s’y contenir, elle fe repandoit au dehors.

Qui de vous, MESSIEURS, n’a pas connu l’élévation & la vivacité de fon efprit ? Il en laiffoit à tous momens échapper des traits perçans. Gouverneur de Province, Duc & Pair, premier Gentil-homme de la Chambre, il trouvoit encore du temps à donner aux Mufes, & fe fentoit honoré du titre d’Académicien.

La bonté de fon cœur l’engageoit à fervir tout le monde. C’eftoit affez d’eftre homme d’efprit, ou malheureux pour avoir fa protection particuliere ; mais ce qui feul feroit fon éloge, il avoit eu tousjours un attachement inviolable & tendre à la perfonne du Roy, & ce grand Prince l’honoroit de fa bienveillance.

Tant d’avantages qui le diftinguoient dans la premiere Cour du monde, ne l’ont point exempté de la loy commune. Il eft mort ; mais il a laiffé à la France un Fils, digne héritier de fon grand cœur & de fes vertus, qui dés fa plus tendre jeuneffe, au milieu de la Cour & de la guerre, de la faveur & des plaifirs, a confacré toutes fes vertus morales par une piété Chreftienne, piété finguliere, univerfellement reconnuë & refpectée.

C’eft à vous, MESSIEURs, à marquer par des traits immortels les actions de ce grand homme, dont la perte vous fera long-temps fenfible. Vous le ferez, fa mémoire vivra à jamais dans vos ouvrages ; tout ce qui part de vos mains fe fent du génie fublime de voftre Fondateur.

Si l’on a dit autrefois que comme Cefar par fes conqueftes avoit augmenté l’Empire de Rome, Ciceron par fon éloquence avoit étendu l’efprit des Romains, ne pouvons-nous pas dire que le Cardinal de Richelieu feul a fait en France ce que Cefar & Cicéron avoient fait à Rome, & que fi par les refforts d’une Politique admirable il a reculé nos frontieres, il nous a élevé, poli, & fi je l’ofe dire, agrandi l’efprit par l’eftabliffement de l’Académie ?

Mais, MESSIEURS, s’il a tant fait pour l’Eftat en formant voftre Compagnie, il a encore plus fait pour luy-mefme. En vain pour fa gloire euft-il trouvé le moyen d’abbaiffer la fierté de cette Maifon orgueilleufe, qui ofoit fe comparer à la Maifon de France ; en vain par la prife de la Rochelle euft-il donné le premier coup au monftre qui vient d’expirer à nos yeux ; fon Nom pouvoit périr encore, & la plufpart de fes actions, quoy que marquées à un caractere fingulier de grandeur, euffent pû eftre ignorées des âges fuivants, fi en fondant l’Académie, il n’euft fondé en mefme-temps le fouvenir éternel de fa gloire.

A fa mort l’Académie éperduë trouva un afyle chez un illuftre Chancelier, dont la memoire vous fera tousjours chere, & qui pendant plus de trente-cinq années, premier Chef de la Juftice, a tousjours paffé pour le plus éclairé des Magiftrats.

Mais quand vous l’euftes perdu, retombez en de nouvelles alarmes, incertains de vos deftinées, quelle joye pour vous, & quelle gloire ! Un Roy, le plus grand des Rois, fe déclare voftre Protecteur, vous reçoit dans fon Palais, & vous égale aux premieres Compagnies de fon Royaume. Par là, MESSIEURS, par là vos noms devenus immortels marcheront à la fuite du fien, & vous pouvez vous refpondre à vous-mefme de l’immortalité que vous fçavez donner aux autres. Vous la fçavez donner feulement, & vous la donnerez à Louis ; il le fait entre ce Prince & vous un commerce de gloire ; & fi fa protection vous fait tant d’honneur, vous pouvez vous flater de n’eftre pas inutiles à fa gloire. Oui, MESSIEURS, ce Prince fi neceffaire à tous ; à fes fujets qu’il à déja rendus les peuples les plus redoutables du monde, & qu’il va achever de rendre les plus heureux ; à fes Alliez, à qui il accorde par tout une protection fi puiffante ; à fes ennemis mefmes, dont il fait le bonheur malgré eux, en les forçant à demeurer en paix ; ce Prince, qui à l’exemple de Dieu, dont il eft l’image vivante, femble n’avoir befoin que de luy-mefme, il a befoin de vous pour fa gloire ; & fon nom, tout grand qu’il eft, auroit peine à paffer tout entier à la derniere pofterité fans vos Ouvrages.

Vous y travaillez, MESSIEURS. Déja plus d’une fois vous l’avez montré aux yeux des hommes également grand dans la paix & dans la guerre : mais qu’eft-ce que la valeur des plus grands Heros comparée à la pieté des veritables Chreftiens ? Il regne, ce Roy glorieux, & tousjours attentif à la reconnoiffance qu’il doit à celuy dont il tient tout, il fonge continuellement à faire regner dans fon cœur & dans fon Royaume ce Dieu qui depuis tant d’années répand fur fa perfonne une fi longue fuite de profperitez. N’a-t-il pas fait taire ces malheureux, qui malgré les lumieres naturelles de l’ame, affectent une impieté à laquelle ils ne fçauroient parvenir ? N’a-t-il pas réprimé cette fureur eu blafpheme affez audacieufe pour aller attaquer Dieu jufques dans fon trofne.

Il fait plus, il s’embrafe du zele de la Maifon de Dieu ; il n’épargne ni foins, ni dépenfe pour augmenter le Royaume de JESUS-CHRIST. Son zele traverfe les mers, & va chercher aux extremitez de la terre des peuples enfevelis dans de les tenebres de l’idolatrie. Les premieres difficultez ne le rebutent point, il fuit avec conftance un deffein que le Ciel luy a infpiré ; & fi nos vœux font exaucez, bien-toft fous fes aufpices la foy du vray Dieu fera triomphante dans les Royaumes de l’Orient.

Que diray-je encore ? Ce Heros Chreftien attaque ouvertement ce Parti formidable de l’herefie, qui avoit fait trembler les Rois fes predeceffeurs ; il acheve en moins d’une année ce qu’ils n’avoient ofé entreprendre depuis prés de deux fiecles, & le monftre infernal reduit aux abois rentre pour jamais dans l’abyfme d’où la malice des Novateurs & les mœurs corrompues l’avoient fait fortir. Heureufe France, tu ne verras plus tes enfans déchirer tes entrailles ! Une mefme Religion leur fera prendre les mefmes interdits, & c’eft à Louis LE GRAND que tu es redevable d’un fi grand bien. Parlons plus jufte, c’eft à Dieu ; & le mefme Dieu, pour affurer noftre bonheur vient de nous conferver ce Prince, & de le rendre aux prieres ardentes de toute l’Europe : car, MESSIEURS, les François ne font pas les feuls qui s’intereffent  à une fanté fi precieufe ; & fi quelques Princes jaloux de la gloire du Roy, ont tefmoigné par de vains projets de ligues, vouloir profiter de l’eftat où ils le croyoient, leurs fujets mefmes, & tous les peuples de l’Europe faifoient des vœux fecrets pour luy, fçachant bien qu’en fa feule perfonne refide la tranquillité univerfelle.

Mais où m’emporte mon zele ? A peine placé parmi vous, j’entreprends ce qui feroit trembler les plus grands Orateurs, fans confulter mes forces j’ofe parler d’un Roy dont il n’eft permis de parler qu’à ceux, qui comme vous, MESSIEURS, le peuvent faire d’une maniere digne de lui.