Discours de réception de Paul Tallemant le Jeune

Le 1 mars 1666

Paul TALLEMANT le Jeune

DISCOURS prononcé en 1666. par Mr. l’Abbé TALLEMANT le jeune, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. de Gombauld.

 

 

MESSIEURS,

SI je ne ſçavois me connoître, la grace que vous me faites aujourd’huy pourroit me donner beaucoup de preſomption. Vous m’avez accordé la place de Monſieur de Gombauld, dont le merite eſt connu de toute l’Europe, qui durant plus d’un demi Siecle a été l’admiration de toute la Cour, qui a même gardé dans une extrême vieilleſſe cette premiere vigueur qui ſied ſi bien, & qui eſt ſi neceſſaire dans la Poëſie, & je ne ſçay ſi ce n’eſt pas vous faire tort que de vous découvrir le peu de capacité que j’ay pour remplir une ſi belle place. Il me ſemble que je devrois vous remercier par un ſilence reſpectueux, & me contenter de l’honneur que je reçois aujourd’huy, ſans aller encore vous faire rougir de l’indigne choix que avez fait, & vous obliger, en vous expoſant mon peu de merite, à vous reprocher à vous-mêmes d’avoir été trop indulgens, & trop faciles ; mais il n’eſt pas juſte auſſi, MESSIEURS, que je diminuë rien de l’obligation que je vous ay. Je devois ſçavoir qu’on ne pouvoit ſans beaucoup d’eſprit, & ſans beaucoup d’érudition aſpirer juſtement à la place de M. de Gombauld ; je devois ſçavoir encore avoir qu’il falloit avoir un merite connu de tout le monde, & que la voix publique étoit quelquefois un titre pour obtenir celle de toute vôtre illuſtre Compagnie. Je devois ſçavoir enfin que n’ayant rien qui approche des grandes qualitez qui vous ont fait mériter le rang où vôtre vertu vous a élevez, c’étoit exiger de vous une eſpece d’injuſtice, que de vous demander une place qui étoit ſi dignement occupée, & qu’apparemment vous ne ſouffririez parmi vous que des gens capables de vous ſuivre de fort prés. Mais je ſuis jeune, MESSIEURS, & à mon âge on eſt diſpenſé de faire de ſi judicieuſes réflexions. Ma jeuneſſe qui a fait ma faute doit auſſi faire mon excuſe. J’ay crû qu’il ſieroit bien à un jeune-homme d’être téméraire dans une occaſion auſſi avantageuſe que celle-cy ; que ma hardieſſe ſeroit peut-être un titre pour moy, & que ſi je n’avois pas aſſez de merite dans l’âge où je ſuis, je pouvois impunément promettre d’en acquérir. Quoyqu’il en ſoit, MESSIEURS, vôtre bonté a rendu ma témérité heureuſe ; je jouis de ma hardieſſe, j’ay ſatisfait à ma glorieuſe ambition. Que hazardois-je après tout ? Quand vous n’auriez pas eu pour moy toute l’indulgence que vous avez euë, il eſt encore bien des degrez de merite, où je pouvois m’arrêter ſans honte avant que d’aspirer à quelque choſe de ſemblable au vôtre, & la gloire d’y avoir prétendu auroit contenté en quelque maniere l’ambition de mon eſprit. Mais enfin, MESSIEURS, puiſque j’ay été aſſez heureux pour obtenir vôtre ſuffrage, permettez-moy de vous dire que ce n’eſt pas tout-à-fait ſans interêt que vous me l’avez donné. Vous êtes tous ſi également remplis & de ſcience & d’eſprit, que vous avez bien voulu ſouffrir quelqu’un qui pût apprendre quelque choſe parmi vous, qui pût vous admirer & tirer de vos ſçavans entretiens un riche fonds de doctrine, & un juſte diſcernement  pour tous les beaux Ouvrages. Voila auſſi, MESSIEURS, ce que j’ay prétendu faire en occupant la place que vous m’avez fait l’honneur de m’accorder. Je veux être l’admirateur de vôtre célébre Académie, j’en reſpecteray la ſource en la mémoire de Monſeigneur le Cardinal de Richelieu, ce fameux Miniſtre, qui fut ſi amoureux de la gloire, que tout couvert de celle que luy donnoient l’affection d’un grand Roi, un heureux gouvernement, les triomphes de ſon Maître & l’eſtime de tous les peuples, il ne laſſoit pas de s’appliquer à la Poëſie & à l’étude des belles Lettres, comme s’il eût été jaloux qu’il y eût quelque ſorte de gloire qui luy eût échapé. Je ſçay bien auſſi la veneration que je dois avoir pour Monſeigneur le Chancelier, dont le merveilleux Genie, non content de régler les affaires les plus importantes de l’Etat, & de diſpenſer la Juſtice avec une prudence ſi admirable, a daigné encore préſider ſouvent à vos doctes Aſſemblées : de ſorte qu’il ſemble par le ſoin qu’il en prend, qu’il croiroit ſa gloire imparfaite, ſi à la dignité de l’Etat qu’il honore autant qu’il en eſt honoré, il ne joignoit encore le titre de Protecteur de la plus illuſtre Compagnie de l’Europe. Pour vous, MESSIEURS, le ſeul moyen de reconnoître en quelque façon l’obligation que je vous ay, c’eſt d’avoir pour tous en general & en particulier toute la déference poſſible, beaucoup d’aſſiduité, & une docilité ſi grande, qu’elle vous empêche, au moins, MESSIEURS, de vous repentir de la grace que vous m’avez faite.