Préface de l’édition « Dire, Ne pas dire » de l’Académie française

En septembre 2014

Yves POULIQUEN

PRÉFACE

 

Il est presque de tradition de prétendre que notre Académie ne s’occupe que de la rédaction de son dictionnaire et reste indifférente aux atteintes qu’inflige à notre belle langue sa pratique ordinaire. On s’étonne même de la lenteur apparente de ses travaux et du délai qui nous sépare du terme de la publication complète de ce dictionnaire dont chaque mot aura été redéfini avec un zèle inégalé. Sur un espace de vingt années, certes, mais qui est et sera l’exacte traduction de ce que chacun de ces mots exprime en ce temps précis que nous vivons. Comparable en cela à ce qu’ils exprimaient dans les dictionnaires des huit précédentes éditions et retraçant ainsi l’évolution historique et littéraire de notre langue. C’est limiter singulièrement l’attention que les académiciens portent à la conservation de la langue dans ce qu’elle a de plus remarquable : le sens du mot dans son expression la plus diverse, celui que l’origine lui a donné, celui que le temps en a fait et les formulations grammaticales de son emploi au travers d’exemples choisis avec grand soin. Une définition qui résulte en vérité d’un long labeur : celui des membres du Service du Dictionnaire, dont on ne loue pas assez la qualité qu’ils apportent à la définition de ces mots qu’ils soumettent dans un premier temps aux académiciens de la Commission du Dictionnaire, lesquels en feront deux lectures avec de surcroît le concours de l’ensemble de leurs confrères en séance plénière. Un travail fondamental en vérité, teinté d’un ésotérisme qui pourrait laisser croire que l’Académie reste indifférente à l’usage fautif de notre langue, si commun à nos contemporains, à sa contamination par des néologismes infondés tout autant que par des anglicismes eux-mêmes trafiqués. Un fait qui ne cessa pourtant de la préoccuper, consciente de l’intérêt qu’il y aurait à intervenir elle-même en ce domaine afin d’offrir à ceux qui le désirent ses avis. C’est pourquoi, il y a trois ans à peine, elle en retint l’idée et en discuta l’esprit aussi bien que la forme. Avec l’intention d’établir un contact avec tous ceux qui, s’intéressant à notre langue, souffrent qu’on la dénature, tout en donnant réponse à leurs questions.

C’est ainsi que naquit Dire, ne pas dire. Une initiative dont le succès fut immédiat ; elle mit en relation des dizaines de milliers d’internautes qui, appréciant les propositions critiques qu’on leur présentait, devinrent rapidement par leurs courriels de très précieux coopérants. Nous soumettant les emplois fautifs glanés dans leur environnement ou nous interrogeant sur les justes pratiques grammaticales d’une expression douteuse. Un riche et surprenant dialogue témoignant de l’intérêt que porte à notre langue une population très diverse en ses origines, ses fonctions, l’âge de ses sujets; française certes en majorité, mais aussi de plus en plus souvent étrangère. Des milliers de courriels posant ainsi, mois après mois, à « Dire, ne pas dire » de nombreuses questions auxquelles le Service du Dictionnaire répond systématiquement et dont les plus originales alimentent sur la toile le courrier des lecteurs.

Un succès et un intérêt qui retint avec bonheur l’attention de l’éditeur Philippe Rey. Amoureux de notre langue, il nous soumit son désir de confier à la mémoire du papier — qui complète si bien celle des « nuages » — les meilleurs moments de ce dialogue qu’entretient l’Académie française avec ses correspondants. Qu’il en soit ici remercié au nom de tous ceux que l’on dit bien imprudemment immortels.

 

 

Dire, ne pas dire - Du bon usage de la langue française (Éditions Philippe Rey, 2014).