La correspondance générale de Lamartine, tome I

Le 23 mars 1944

Georges LECOMTE

CORRESPONDANCE GÉNÉRALE DE LAMARTINE

PAR

M. GEORGES LECOMTE

Lu dans la séance du 23 mars 1944

 

Messieurs,

Les élèves de la Section littéraire de l’École normale supérieure offrent à l’Académie française le premier volume de la-Correspondance de Lamartine. Ce recueil, d’un très vif intérêt, se présente avec une introduction de nôtre éminent confrère M. Jérôme Carcopino, directeur de cette École, avec une préface du bon poète et historien, de la Littérature, Maurice Levaillant, fervent lamartinien, professeur en Sorbonne et délégué à l’École normale, qui a conseillé ces recherches.

La publication de ce livre est une nouveauté dans les annales de la grande et célèbre maison de la rue d’Ulm. Jusqu’alors elle ne faisait connaître au public que les travaux des élèves de sa section scientifique. Ceux des élèves de Lettres ne sont pas moins intéressants et méritent tout aussi bien d’être révélés aux lecteurs du dehors.

L’ouvrage publié aujourd’hui est le premier des volumes où, d’année en année, ces jeunes hommes rassembleront toute la correspondance de Lamartine. Une grande partie en avait été publiée après la mort du poète et, en 1892, par sa nièce Mlle Valentine de Cessiat, qui entoura d’une si tendre affection sa vieillesse solitaire, pauvre, tourmentée. Puis, en 1928, le Comte de Chastellier put réunir à notre profit la correspondance de Lamartine avec ses nièces.

Mais que de lettres restaient ignorées ! Dans combien d’entre elles de fâcheuses suppressions avaient été faites, des erreurs de transcription commises ! C’était fort dommage. Les élèves littéraires de l’École normale se sont mis en quête de ces lettres inédites, ont vérifié sur les originaux le texte de celles déjà publiées, soigneusement rétabli des passages supprimés.

Et surtout, sans longs commentaires; ils donnent les renseignements les phis précis sur la situation sociale des correspondants de Lamartine, sur le rôle qu’ils ont eu dans sa vie, sur le caractère de leurs relations avec lui, sur les hommes dont il parle. De même, pour rendre à ces lettres tout leur sens, ces travailleurs consciencieux expliquent ou rappellent en notes brèves les événements auxquels il y est fait allusion.

Cette publication, qui comportera plusieurs tomes, est entreprise pour les années s’écoulant de 1830 à 1848, c’est-à-dire pour celles où, l’activité littéraire et politique de Lamartine, fut particulièrement intense et où s’esquisse son action politique.

Le premier volume qui nous est offert va de 1830 à 1833. Il nous montre le poète, si obsédé qu’il soit déjà par les soucis matériels, à l’époque la plus féconde, la plus brillante, la plus heureuse et aussi la plus décisive de son existence. Le chant, si humain, si nouveau, des Méditations retentit encore dans les cœurs, et voici que s’élève, vers le Ciel, celui des Harmonies. En même temps, dans l’esprit de Lamartine, mûrit la conception de Jocelyn.

Fidèle à la branche aînée des Bourbons, dont pourtant il juge, imprudente et désapprouve la politique des précédentes années ; il a refusé de servir le gouvernement du roi Louis-Philippe. Mais, comme des souvenirs et la gratitude l’attachent à la famille d’Orléans ; c’est en termes d’une respectueuse délicatesse qu’il se retire de la diplomatie.

Dès ce moment, orateur né, ayant — comme il l’a lui-même écrit:— « le sens des masses »; il a, par simple civisme en ces temps troublés, le désir de l’action politique. Et, déjà passionnément épris de Liberté, qui est pour lui un bien sacré, dix-huit années avant de fonder la seconde République il déclare que « le vrai Conservatisme est le Progrès ».

C’est l’époque où il fait son fameux voyage en Orient dont il nous a laissé un si beau récit. Voyage au cours duquel — après avoir une première fois échoué aux élections législatives dans la circonscription de Bergues, sous les méprisants sarcasmes en vers du poète Barthélemy, auxquels sa mémorable « Réponse à Némésis », également en vers, avait si noblement riposté, — Lamartine reçoit, sur les pentes mêmes du Liban, la nouvelle qu’en son absence, et grâce à l’activité influente et persuasive de Mme Angebert, l’une de ses admiratrices, il vient d’être élu député de Bergues, en attendant que Mâcon, sa ville natale, l’élise à son tour.

C’est aussi l’époque où, entre les déchirements dont l’accablent la mort accidentelle de son adorable mère, puis, à Beyrouth, celle de sa fille Julie, il est devenu « l’un des Quarante ».

Événements, états d’esprit, projets, douleurs, joies, qui, sous la plume de Lamartine lui-même et avec les annotations brèves, claires, explicites, judicieuses, des élèves de l’École normale, donnent à ce recueil si complet le plus vif intérêt.

Votre Bureau a pensé que, en saluant l’apparition de ce premier volume collectif de jeunes lettrés laborieux et sensibles à la beauté, à la grandeur, l’Académie française rendrait un nouvel hommage à la haute mémoire d’un de ses membres les plus illustres, et donnerait un témoignage de sa sympathie attentive aux travaux littéraires des élèves de l’École normale qui, désormais, seront publiés de promotion en promotion.

Nous en saluons l’aurore avec plaisir et avec la confiance que ce recueil nous inspire.