Discours prononcé à l'occasion de la mort de Marcel Prévost

Le 17 avril 1941

Abel HERMANT

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. ABEL HERMANT

le jeudi 17 avril 1941

A L’OCCASION DE LA MORT DE M. MARCEL PRÉVOST

 

Messieurs,

La mort est toujours cruelle, mais il semble qu’en ces jours étranges sa cruauté s’ingénie pour rendre nos deuils plus douloureux. Nous avons l’habitude des absences, mais aussi des retours, et certes la dispersion des nôtres nous attriste, mais sans nous causer une anxiété véritable, car tant de fois nous les avons vus partir, puis revenir; que nous n’imaginons pas qu’ils puisent être partis pour toujours et ne revenir jamais. De loin en loin, nous avons eu de leurs nouvelles, par des témoins passagers qui les ont vus de leurs yeux quelques instants, qui ont échangé avec eux quelques mots, et qui nous assurent qu’ils avaient l’air de se porter très bien. Et puis, une voix anonyme s’élève dans le silence de la chambre où nous sommes seuls, et elle nous annonce sans ménagement, sans aucun de ces détails qui adouciraient peut-être de mélancolie la sécheresse de notre chagrin, avec une indifférente précision d’état-civil, qu’ils sont morts, à telle heure, la veille.

C’est ainsi que la semaine passée nous avons été informés du décès de Marcel Prévost. Nous ne savons rien du mal qui l’a enlevé ni de ses derniers moments, rien, sauf qu’il était exactement 23 heures 30.

Depuis, nous avons appris seulement qu’un de nos confrères, M. Georges Lecomte, qui se trouvait réfugié dans le même département, avait pu apporter à celui que nous avons perdu l’hommage de l’Académie française, et un journal a publié une photographie où on le voit suivant le cercueil que traîne vers un cimetière de campagne un chariot attelé de bœufs.

S’il nous était donné de connaître l’heure de notre destin, et si notre ami avait pu prévoir que la sienne sonnerait alors que tout serait renversé, qui sait s’il n’aurait pas préféré cette pompe rustique aux longs défilés de troupes auxquels son éminente dignité dans l’ordre de la Légion d’honneur lui donnait droit ? Il a eu du moins le bonheur, qu’il devait souhaiter, que nous souhaitons tous, de faire sa tâche jusqu’à la minute suprême, en pleine possession de son esprit clair, et de ne quitter sa table de travail que pour s’en aller mourir.

Messieurs, vous n’attendez de moi, ni un résumé de cette belle vie que vous connaissez bien, ni un éloge littéraire, réservé à celui que vous choisirez un jour pour occuper sa place, pour remplir le grand vide qu’il laisse parmi nous. Vous savez qu’il a obéi à une vocation certaine, puisque ses études s’étaient orientées d’abord vers la science pure ; vous savez qu’il alliait très heureusement l’esprit de finesse à l’esprit géométrique, et que l’esprit de finesse a pris de très bonne heure l’avantage, sans lui retirer aucune des qualités qu’avait développées en lui une culture toute mathématique. Vous savez que sa seconde carrière a été facile et brillante, que ses succès ont été aussi prompts et continus que retentissants, et qu’enfin il n’a guère connu de critiques acerbes que celles qu’un bon écrivain peut essuyer sans alarmes, parce qu’elles témoignent, comme dit la Sagesse des Nations, qu’il fait plus envie que pitié.

Vous savez enfin — vous avez ouï dire — que la société dont Marcel Prévost fut l’un des historiens les plus véridiques, l’un des peintres les plus sincères, est en train de disparaître. C’est peut-être pour un romancier une fortune que de ne pas survivre au monde dont son ouvre demeurera le document ; mais ceux de ses contemporains à

qui un sort, moins clément sans doute, accorde un sursis, plaignent l’opportunité rigoureuse de cette fin, qu’ils ne peuvent, oubliés eux-mêmes, ne pas trouver prématurée.

Messieurs, vous voudrez, selon l’usage, lever la séance en signe de deuil.