Centenaire de « Mireille », à Maillane

Le 2 février 1959

Antoine de LÉVIS MIREPOIX

CENTENAIRE DE MIREILLE À MAILLANE

le 2 février 1959

 

Nous voici à Maillane, dans l’intimité du génie dont nous célébrons, parmi tant de chefs-d’œuvre toujours honorés, le poème qui, sous les traits d’une jeune fille de Provence, rayonne, aujourd’hui, d’une gloire centenaire plus fraîche que jamais.

Je remercie le Commandant H. F. Martin, maire de Maillane, des paroles si délicates qu’il a bien voulu me confier pour l’Académie française. Elle a voulu être présente au Centenaire, comme elle le fut au Cinquantenaire de Mireille, pour affirmer combien ce chef-d’œuvre appartient au patrimoine français.

Croyez aussi, Monsieur le Maire, que celui qui a l’honneur d’occuper le fauteuil de Charles Maurras à l’Académie française, a écouté avec émotion ce que vous avez dit du grand Félibre, de l’ami fervent et de l’admirateur de Mistral.

Je salue Monsieur Frédéric Mistral — neveu du poète — gardien et continuateur d’un nom illustre et des souvenirs sur lesquels il penche son respect filial. Et, autour de lui la reine du Félibrige, les reines du Comtat et d’Arles, leurs demoiselles d’honneur, les félibres, les gardians et les tambourinaires.

L’Académie française s’associe avec ferveur à ce pèlerinage vers le sanctuaire du poète et le berceau de l’Héroïne. Que les rives de la Seine rejoignent celles de la Méditerranée, mais aussi, en ce haut lieu, resserrons l’espace pour obtenir plus de recueillement.

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J’aime ici joindre la patrie toute petite — et dans ce mot, je ne mets que de la tendresse — à l’immense patrie de la civilisation gréco-latine.

Mistral se reposait sur la première, accoudé à cette table de travail que vient embrasser, comme une vague, l’émotion de tout un peuple. Mais de l’autre patrie, la vaste patrie méditerranéenne, dont l’univers le plus éloigné, reste débiteur, le solitaire de Maillane fut un serviteur illustre.

Dans un foyer il y a des rayons, il y a le feu central, nous y sommes. Ici un homme a donné à sa pensée la forme de l’action.

Mistral est poète au sens total du mot qui veut dire créateur. N’a-t-il donc pas rêvé puisqu’il était poète ? Sans doute. Il a rêvé sur la Crau, cette mer aux vagues immobiles. Il a rêvé sur le rivage où l’étendue devient mouvante et chantante. Il a rêvé devant les cryptes, ces flûtes du vent et son rêve ne s’est point égaré.

Quelles que soient les modulations qui l’emportent, il en reste le maître. Maître du vent, du flot, des nuances du jour et de la nuit, il s’arc-boute à une idée solide de l’homme et de la maison.

Il n’a pas voulu faire du père de Mireille un être mauvais. Premier à la table comme au labour, Ramon est cordial et bien accueillant, il n’est que de l’écouter parlant de compère à compère avec Maître Ambroise — tant que le drame n’a pas éclaté.

C’est un olivier noueux attaché à sa souche. Il voit les familles saines et résistantes à l’orage. De la terre, ardemment travaillée, il a fait surgir un domaine et il en est jaloux. Dur au choc de la vie et de la passion capricieuse, il n’aperçoit que les quatre saisons entourant son mas triomphant.

Sa femme est bien sa compagne. Le poète ne les a pas maudits. Il les plaint. Il sait que le cours de la vie est torrentueux. Père et mère se masquent leur sensibilité, mais leur rudesse ne tiendra pas devant l’immense douleur qui s’approche.

Et leur enfant reste la jeune fille angoissée, sous la coiffe et la robe arlésienne, glissant, ombre lumineuse dans le sobre décor argenté de la terre provençale.

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Non, Mireille ne nous semble pas le poème de la révolte. C’est le poème du foyer, de la terre, de la tradition. Mais aussi de l’amour animant l’un des couples — les plus radieux jusqu’en leur désespoir — qu’un poète ait tiré de la nature humaine, frère et sœur de Roméo et Juliette.

On y trouve aussi les disciplines de la civilisation patriarcale, cependant, elles n’apparaissent pas dans un éden artificiel, elles supportent le souille irrégulier de la vie.

Dans Mireille il y a comme un chant clair, celui de ces deux êtres, Mireille et Vincent, et une orchestration profonde, tout offerte au musicien qui allait joindre son génie à celui du mage.

Mistral, ce grand vivant, s’il ne perd pas de vue les impératifs austères qui empêchent de s’égarer, ne peut fermer ses yeux aux troubles d’un monde hanté, à la fois, par la crainte et le désir de la paix.

Il règne à Maillane, en ce haut lieu, cette sorte de paix qui charme sans être lourde. Non pas celle que les moines du désert allaient chercher loin des bruits de la terre, mais celle qui s’entrouvre, selon les termes mêmes de Mistral : « aux moments célestes dans lesquels l’amour, l’enthousiasme ou la douleur nous font poètes. »

À son foyer, il réchauffe ses pensées, moissonne ses poèmes, tour à tour limpides, gracieux et brûlants, qu’il répandra dans le tumulte des hommes pour leur faire aimer la gloire des aïeux, la beauté de la terre natale et la fierté de la langue maternelle.