5e centenaire de Jeanne d’Arc. Jeanne d’Arc à Reims

Le 17 juillet 1929

Gabriel HANOTAUX

CINQUIÈME CENTENAIRE DE JEANNE D’ARC

17 juillet 1929

JEANNE D’ARC À REIMS

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. GABRIEL HANOTAUX
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

MONSEIGNEUR,
MONSIEUR LE MAIRE,
MESSIEURS,

Dans l’immense concours de peuple rassemblé en ce jour où la cité de Reims, relevée de ses ruines, toute blanche et candide de sa nouvelle robe de pierre, ressaisit l’héritage inviolé de sa glorieuse histoire, en cet anniversaire où vous célébrez la plus pure de nos gloires nationales, l’héroïne de la délivrance d’Orléans et du sacre de Reims, comment oserai-je retenir une minute votre attention pour vous remercier, Monsieur le Maire. vous dont l’esprit d’union a préparé ces splendeurs, pour remercier les membres du Comité et la ville tout entière d’avoir désigné, pour porter ici la parole, en qualité de membre de l’Académie française, l’homme né dans les limites de votre archevêché, qui se revoit, enfant, jouant dans votre vieille rue des Élus, qui a reçu, par tous les siens, la tradition de votre génie et de vos services et qui, ayant passé bien des moments de sa vie à l’ombre de votre cathédrale, fut, pendant et après la guerre, le témoin de vos douleurs, de votre énergie, de votre endurance et qui salue avec joie votre magnifique relèvement ?

Vous le savez, Monsieur le Maire, et ceux qui sont venus près de moi en votre nom le savent, mon premier mouvement fut de m’excuser. Je leur fis observer que, seul, un des vainqueurs de la grande guerre était digne de se mesurer avec de tels souvenirs. Le général Gouraud étant en Amérique, ils insistèrent, et je me suis incliné. Mais je mis à mon acceptation une double condition, à savoir que le Cardinal Luçon et l’Amiral Lacaze seraient près de moi : car il faut les grandes gloires d’aujourd’hui pour que la France d’hier soit dignement célébrée.

Permettez-moi, Monseigneur, d’évoquer devant vous un souvenir, c’était à Rome, à Saint-Louis-des-Français. Les cérémonies de la sanctification de Jeanne d’Arc venaient d’avoir lieu sous les voûtes de Saint-Pierre et Vous voulûtes bien, au nom de l’Église de France, adresser vos félicitations épiscopales à l’Ambassadeur que la République française, relevant une tradition séculaire, avait accrédité auprès du Saint-Siège pour assister à cette union solennelle de l’Église et de la patrie.

Deux noms vinrent alors sur nos lèvres, Romulus et Remus, Rome et Reims : les deux fils de la Louve se retrouvaient, et nous rappelions la légende évocatrice de ces antiques grandeurs. Reims, en effet, avait, des premières, parmi les cités de la Gaule, accueilli Rome et César, c’est-à-dire qu’elle avait été, d’elle-même, au-devant de la civilisation méditerranéenne et latine. Et, depuis lors, chaque fois qu’un grand fait de l’histoire ou de la civilisation française s’est accompli, Reims y a participé. Et cela, la France et le monde le savent et vous en sont reconnaissants.

Car, en ce moment même, au pied de votre cathédrale reconstruite, ce n’est pas seulement de votre vieille province que les acclamations s’élèvent, elles viennent de la France et de l’Univers entier. Oublierons-nous que, quand la plus affreuse des haines déchirait le splendide visage de l’édifice sacré, le monde versait des larmes ? Oublierons-nous que la largesse de notre grand ami d’Amérique, Rockefeller l’a abrité sous un manteau d’humanité ? Oublierons-nous le désastre et la réparation, comme tant de choses sont tout oubliées : Non, non, nous n’oublierons pas :... Mais nous nous souviendrons, surtout, de la protection du Ciel et du bienfait. Nous nous souviendrons du salut de la patrie, du miracle qui retint la ville au penchant de l’abîme, et nous n’en respirerons qu’avec plus d’émotion la fleur de la vie nouvelle épanouie au cœur même de la destruction.

Cette page de deuil et de gloire continuait, la longue suite de celles dont s’illumine votre histoire.

Quand Jeanne d’Arc partit de son village, on peut dire qu’elle avait Reims fixée dans le cœur. Orléans, c’était la voie : Reims, c’était le but.

Le nom de Reims, en effet, plane sur toute sa carrière, comme il plane sur toutes les annales de la France. Le baptistère où Rémi sacra Clovis est la source. À chaque avènement royal, le sacre renouvelle l’onction. À Reims eut lieu le fameux concile de Saint-Bâle qui fonda la dynastie des Capétiens ; à Reims, le sacre de Charles VII sonna la fin de la guerre de Cent ans... Et, de nos jours, c’est à Courcelles de Reims que fut décidée la funeste marche sur Sedan ; c’est à Reims qu’eut lieu, dans les plaines de Bétheny, la revue qui consacrait l’alliance russe ; c’est à Reims , quand Blériot venait de prendre son envol vers le ciel, que s’achève la conquête de l’air ; c’est à Reims, enfin, que le général Gouraud, tendant la main au général Mangin, remportait la seconde victoire de la Marne et décidait du sort de la grande guerre.

La raison du rôle éminent réservé à votre ville tient à la forme même de notre corps national. Reims s’élève entre le centre, que la nature a fixé à Paris, et la frontière de l’Est. La Seine, la Loire, la Marne sont les trois artères qui portent le sang vers le cœur ; et ne voyons-nous pas que, si toutes les grandes Notre-Dame, Notre-Dame de Chartres, Notre-Dame d’Amiens, Notre-Dame de Laon, Notre-Dame de Reims sont rangées en un cercle auguste autour de Notre-Dame de Paris, c’est Notre-Dame de Reims qui est au poste avancé et qui fait signe, de ses tours tendues vers le ciel, aux deux flèches aériennes de Strasbourg. Ainsi, la vigilance et l’amour se répondent par cette télégraphie sublime. Plus on écoute les grandes voix de notre histoire, plus profonds et plus divins sont leurs avertissements. La Notre-Dame, adorable inspiration de la vieille France et de l’art français, exprime la tendresse humaine et l’affection sociale par la figure la plus simple et la plus touchante : une mère, son enfant sur les genoux.

Le geste de Notre-Dame de Reims avait bercé l’enfance de Jeanne d’Arc. Née aux marches de Lorraine et .de Champagne, le saint de son village était le Saint même de votre ville, Dom Remy. Son père était de Ceffonds en Champagne. Avec de telles origines et sous un tel signe, comment ne retrouverait-on pas, en Jeanne d’Arc, les traits qui caractérisent nos populations de l’Est, toujours menacées, souvent attaquées, envahies, mais fermes, souples et résistantes comme l’acier ? Elle-même, après avoir passé parmi vous ces courtes journées du sacre, se retrouve en quelque sorte : elle a fait venir son père et les siens et les embrasse au logis de l’Ane rayé que la ville a mis à leur disposition ; elle leur dit, les larmes aux yeux, en prévoyant son sort, combien elle eût désiré retourner avec eux dans son village. En sortant de Reims, comme elle chevauchait auprès de Renault le Chartres, elle s’écrie : « Quel bon peuple ! Jamais je n’en ai vu de si joyeux de la venue du Roi ! Que je serais heureuse, à ma mort, d’être enterrée ici ! » Par ces paroles, elle vous choisit et déclare Reims sa patrie d’adoption. Son vœu est formel. Sa formation et les traits de son caractère ne le sont pas moins.

Ce qui caractérise, en effet, cette région jusqu’à la frontière, c’est la sûreté du patriotisme, la ferveur de l’unité. Au temps où Jeanne d’Arc remplit sa mission, la plus atroce des guerres, sévissant depuis près de cent ans, a disloqué cette unité. Paris même a succombé. Après la délivrance d’Orléans, les ministres de Charles VII s’opposent au dessein de la Pucelle de venir le faire couronner dans un pays qu’on affirmait acquis à la cause adverse.

Eh bien ! en ces heures sombres, où le devoir lui-même était obscurci, l’histoire nous apprend, qu’à Reims, sous le pied l’ennemi, la population s’entêtait dans la fidélité et qu’une conjuration d’hommes énergiques prenait ses mesures pour livrer la ville au Dauphin. Au procès qui leur est fait, frère Guillaume « déclare que l’on estoit allé quérir le Dauphin pour l’amener en cette ville, que devant le jour de la Magdeleine, ils le mettroient dans Reims ; et qu’il y en avoit en cette ville encore cinq cents qui aideront à y mettre le Dauphin et que les Anglois, tant qu’ils seront Anglois (la chose est dite plus rudement), ne se verront ny entreront dans cette ville et qu’on ne le souffrira point ».

Et le vieil historien local traduit en des paroles pleines d’émotion le fait indéniable dont témoigne le document d’archives : « À cet avis, écrit-il, les cœurs vraiment françois commencèrent à s’épanouir en l’attente d’un bien qu’ils avoient tant souhaité. Vous eussiez dit que la fidélité des Rémois, pareille à la semence gardée au sein de la terre pendant les frimas, recevoit une nouvelle force pour se produire à l’aspect du soleil de la France par des sentiments extraordinaires de joye et d’allégresse. Les partizans anglois, jugeant de l’intention par la gayeté des visages, voulurent se mettre en défense ; mais peu s’en fallut qu’on ne les mit en pièces, tant on avoit d’aversion pour l’étranger. »

On demande où Jeanne puisait son patriotisme ? Mais elle n’avait qu’à se baisser pour le sentir vivre et se propager au sein de cette légère et forte terre de l’Est. Il y est enraciné comme la vigne, et il n’y meurt jamais !

Si je pouvais lire ici les trois admirables lettres qu’elle adresse à ses « chers et bons amis, les gens d’église, eschevins, bourgeois, habitans et maîtres de la bonne ville de Reims », on y relèverait l’accent de la candeur, de la confiance, de la forte et camarade cordialité. Elle leur dit tout, ne leur dissimule rien, même ses craintes. Quel honneur, pour la cité, qu’une telle correspondance ! Et quelle scène que le sacre, en cette heure illustre où la destinée du monde se retourne et se trouve fixée par la main d’une enfant !

Par le cœur, cette enfant est vôtre : sentiments des grands devoirs et des grands services, des actions vigoureuses pour un résultat de longue suite. On trouve, aussi, en elle, ce ferme jugement, ce bon sens, cette haute et claire vue des choses, cette promptitude de l’esprit qui font la simultanéité du dessein, de l’action et de l’expression dardés comme une flèche vers le but. Par cette tournure de l’intelligence et de l’esprit, elle est du terroir, de votre vieux terroir qui s’illustre de nos gloires les plus nettement significatives et les plus fortement autochtones. Racine et Lafontaine.

L’esprit de Jeanne d’Arc est de ce cru, du meilleur cru de Champagne, clair, rayonnant et mousseux. Cette grave enfant inspirée ouvre ses grands yeux clairs et regarde en face ; elle pétille dé bonne humeur ; elle a réponse à tout, fût-ce devant l’horrible tribunal des pédants, ses juges !

On l’interroge sur ce que ses voix lui disent dans sa prison. « Elles me disent : « Aie bon courage et gai visage » La voilà !... À cet autre, balourd insigne, lui demandant avec une si laide grossièreté : « Quand il vous apparut, saint Michel était-il nu ?— Pensez-vous, répond-elle, que Dieu n’ait pas de quoi l’habiller ? » Et, à ce jargonneur limousin qui veut savoir si ses voix parlaient français : — « Mieux que vous, assurément ! » De ce ton alerte et vif, la cavalière les mène d’un train qui, même quand on sait l’affreuse issue, réjouit le cœur : « — Ne parlez pas tous à la fois, beaux pères... » Et, au greffier : — « Si vous vous trompez encore, je vous tirerai les oreilles. » Ce Beaupère, un des plus plats valets de bourreau, qui a juré qu’il la dompterait et qui fut des mieux payés pour la sale besogne, lui dit : — « Quand vous avez vu cette voix venir à vous, y avait-il de la lumière ? » Et elle : — « Il y en avait beaucoup. Il n’en vient pas autant à vous. » — Et encore : — » Est-ce que sainte Marguerite parle anglais ? — Comment parlerait-elle anglais, puisqu’elle n’est pas du parti des Anglais ? » Il a son compte, le pauvre traître : — « Cette femme est subtile », observe-t-il, et il s’enfuit jusqu’à Bâle. C’est à ces pédants encore qu’elle adresse le mot admirable : — « Lisez dans votre livre. Il y en a plus dans celui de mon Seigneur que vous n’en trouverez jamais dans les vôtres ! »

Comment ne pas être ébloui par tant d’autres traits éclatants qui traversent l’histoire comme des éclairs ? On veut lui faire dire de quel sortilège elle se servait pour remporter ses succès : — « Je disais à mes gens : Entrez hardiment parmi les Anglais, et moi j’y entrais. » Et, à Chinon, quand il s’agit de secouer l’inertie de Charles VII : — « Les guerriers combattront, et Dieu leur donnera victoire. » Enfin le fameux mot sur l’étendard prononcé ici, au sacre : — « Il avait été à la peine, c’est le moins qu’il fût à l’honneur ! »

Elle n’avait pas lu dans les livres, elle qui ne savait ni A ni B ; elle n’avait reçu nul enseignement. Ces traits lui venaient donc tout droit du sol où elle était née, de l’humble famille qui l’avait nourrie. Sortie du peuple, ayant les dons spontanés du peuple, le peuple sentait en elle une sœur héroïque et baisait la trace de ses pas : « Les pauvres venaient à moi, dit-elle encore, parce que je ne leur faisais pas de déplaisir et, qu’au contraire, j’aimais à les supporter. »

Solide et forte fille, aux cheveux noirs, à la figure ronde et fraiche, saine comme la pureté, elle était entière et absolue comme la foi. Car, ne la dépouillons pas de ce qui fait sa force. Sur sa mission, — témoin qui ne mentit jamais, — elle se prononce avec une persistance qui ne fléchit pas, même devant le bûcher : — « Je suis envoyée de par Dieu. » Ses voix l’inspiraient.

Rien ne s’explique si l’on n’admet ce « quelque chose au-dessus de la raison » que M. Poincaré proclamait à Domremy, et tranchons le mot, sa mission divine. Dieu ne voulait pas que la France périt ; et, pour qu’elle ne pérît pas, il envoyait et prenait par la main l’enfant pure qui n’avait qu’une parole à la bouche : — « Soyons unis et nous bouterons hors les Anglais ! »

Dépouiller la Pucelle de sa foi, refouler dans le ciel le geste de Dieu, est-ce grandir Jeanne, est-ce grandir la France ?... Ces cathédrales, dont nous admirons la présence circulaire autour de Paris, effet incomparable de l’art et du patriotisme, les réduirons-nous à l’état de squelettes vides ? Les décharnerons-nous de la religion qui les a élevées ?... Ah ! laissez-nous nos étoiles !

Durant la dernière guerre, autour du grand évêque, digne successeur de saint Remy, père qui n’a pas quitté ses enfants, pasteur qui n’a pas quitté son troupeau, protecteur qui étendait sa robe rouge pour l’abriter du déluge de sang qui tombait de toutes parts, en ces longues années de souffrance et d’angoisse, tandis que les soldats combattaient, que le pays subissait les horreurs de l’invasion, que les peuples étaient décimés, est-ce que nous n’avons pas assisté à ces étonnantes poussées de l’humanité au-dessus d’elle-même, à ces élans de l’âme par delà la mort vers l’immortalité ? Est-ce que nous n’avons pas vu surgir, dans les âmes, dans les foules, une fois ardente en l’éternité, d’où peut venir le seule juste jugement ? La France montait au Calvaire. Elle sauvait le monde en se sacrifiant : acceptons la leçon de ces nobles exemples, de ces sublimes inspirations.

En son temps. Jeanne d’Arc était entourée de la même auréole mystique et on a bien vu qu’elle était envoyée pour une œuvre unique, puisque, le but atteint et le roi couronné, le martyre la saisit. À peine est-elle morte, qu’un contemporain, Alain Chartier, écrit : « Cette Pucelle n’est pas seulement la gloire de la France, elle est la gloire de la chrétienté tout entière. » Comment ce poète (les poètes sont des prophètes) avait-il deviné que l’enfant dont la cendre est jetée au vent va survivre à jamais et qu’elle planera, pour parler comme lui, sur la Chrétienté tout entière ?

Ce dernier mystère, proclamons-le ici très haut, s’est accompli. Il s’accomplit sous nos yeux, à Rome, à Orléans, à Reims et dans tout l’Univers : la mission renaît, chaque année, depuis cinq cents ans, comme une graine qui a dormi sous terre et qui s’épanouit après l’hiver. Je citerai encore un témoignage exquis venant de l’un de vos chroniqueurs : « Item, écrit-il, quand le Roi partit de Reims et tira outre, peu après se relevèrent derechef toutes les vignes et fleurirent toutes d’une autre pousse et portèrent plus de raisins qu’avant et dut-on les laisser jusqu’à la Saint-Martin. »

N’est-ce pas l’image même de votre existence ? N’est-ce pas Reims toujours à l’avant-garde, si souvent accablée et toujours renaissante ? De votre patrimoine qui ne veut pas céder, de la volonté qui vous a établis, de la foi qui vous inspire, naissent ces âmes fortes qui vous soutiennent et vous élèvent. La souffrance vous roidit et vous exalte, nous en avons la magnifique preuve devant nous. Reims sauvée salue la grande salvatrice et libératrice, Jeanne d’Arc !

Au mois d’octobre 1918, j’étais à Reims, où le général Guillaumat voulait bien me recevoir. Nous visitâmes les forts, parcourûmes les champs de bataille, les faubourgs et nous pénétrâmes dans la ville. Ce n’était (vous en avez l’image gravée en vous, à jamais) qu’un amoncellement de ruines. Le grand cœur et le généreux esprit du général supputaient cette misère : « Comment s’y prendre, disait-il, et par où commencer ? Ou, plutôt, à quel parti s’arrêter ? Déblayer cet immense débris, transporter on ne sait où et dans quelle plaine inculte un gravat immense qui ne laissera ici quun sol effondré et caverneux ? Impossible ? Que faire ? Faudra-t-il que Reims meure sur place ou qu’elle se résigne à chercher ailleurs un sol nouveau et une terre non maudite ? »

Et voyez ! Voici la ville refleurie à la place même où il ne restait qu’un indistinct chaos, voici sa population, son industrie, ses ateliers, son travail, voici sa cathédrale et voici son âme ! Elle peut répéter avec force le cri de Jeanne d’Arc : « Vive labeur ! »

Ce cri, c’est celui de la France. « Vive labeur ! » À l’heure même où son sort dépend d’un nouvel effort et d’une lutte nouvelle engagée contre cet étrange retour de la destinée qui menace de l’écraser sous le fardeau de la victoire, elle consulte son grand passé, pèse ses forces et mesure cette nouvelle sévérité du destin. Elle embrasse le mal d’un coup d’œil comme le général vainqueur mesurait de l’œil votre ruine. En même temps, elle fait un retour sur elle-même, sur ce qu’elle a fait, sur ce qu’elle doit, sur ce qu’on lui doit, sur la nécessité de son existence et sur la loi de dés­accord fatal qui pèse sur l’humanité. Elle envisage tout. Mais, consciente de son idéal, de sa générosité, confiante en cette ferveur ardente qui, dans toutes les grandes crises, refait l’union invincible de tous les Français, elle enlève d’un coup de ses fortes épaules l’inhumain fardeau... J’en prends à témoin Jeanne d’Arc, fille de l’Est, auteur du sacre, salvatrice et libératrice : La France a tenu, elle tiendra !