Inauguration de la stèle érigée au Panthéon en l’honneur des écrivains morts pour la France

Le 15 octobre 1927

Georges LECOMTE

INAUGURATION
DE LA STÈLE ÉRIGÉE AU PANTHÉON
EN L’HONNEUR DES ÉCRIVAINS MORTS POUR LA FRANCE

le samedi 15 octobre 1927

 

HOMMAGE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

PRÉSENTÉ PAR

M. GEORGES LECOMTE
DIRECTEUR

 

À cause de leur sacrifice qui nous a sauvés, tous les morts de la guerre — si modeste qu’ait été leur rôle dans la société d’avant la tourmente — ont un droit égal à notre dévotion et à notre gratitude.

Fidèles à tous ceux qui tombèrent pour la défense de notre libre avenir, écrivains de France, nous avons le droit et le devoir d’une piété plus affectueuse encore pour les écrivains français qui se sont immolés.

Beaucoup d’entre eux étaient nos jeunes amis. Ils nous avaient confié leurs rêves, leurs fières ambitions d’art, parfois même le secret de leurs espérances d’hommes. Nous les aimions pour la noble ferveur qui les animait, et quelquefois plus encore pour ce que nous les savions sur le point de dire que pour ce qu’ils avaient eu le temps d’écrire.

Pendant plus de quatre années, combien de lettres poignantes nous les firent aimer et admirer davantage ! Que de jolie tendresse pour la mère, la femme, les enfants, si tristes dans la solitude du foyer en alarme ! Quelle fière et ferme sollicitude aussi pour la France si doucement maternelle !

Ces lettres des écrivains combattants, grâce auxquelles nous avons pu avoir parfois l’illusion de nous faire des âmes presque dignes d’eux, sont si belles, si nobles, si touchantes qu’on voudrait avoir le droit d’être indiscrets et de les verser au magnifique dossier moral de la France. Voilà pourquoi, d’un pieux élan, dès le lendemain même de la guerre, aux tout premiers jours d’avril 1919, l’Académie française s’est associée aux cérémonies d’une grandeur émouvante dont la Société des Gens de Lettres honora la mémoire des écrivains morts pour la France.

Afin d’accorder ses actes avec ses sentiments, dès que, sur les champs de bataille, le sang des poètes se mit à couler, l’Académie française fleurit leurs tombes de ses plus beaux lauriers. Et, aussi longtemps qu’elle le put sans risquer d’être injuste pour les survivants de haut mérite, elle prolongea leur jeune gloire en les récompensant comme si nous avions eu le bonheur de les sentir encore au milieu de nous et d’en pouvoir espérer des chants nouveaux.

Mais on n’est pas quitte envers de si grands morts parce qu’on les a honorés une fois. Pour ne pas être infidèles, il faut nous donner à nous-mêmes l’impression qu’ils restent présents dans notre vie.

Nous remercions l’Association des écrivains combattants de nous avoir, dans sa piété fraternelle et vigilante, offert une nouvelle occasion de montrer que, comme elle, avec elle, nous ne saurons ni ne voulons oublier ces sauveurs du foyer français, de l’idéal français, de la pensée et de la liberté françaises.

Nous nous sommes attachés à leur mémoire parce que nous savons ce qu’ils nous ont donné et ce que nous leur devons.

Certes, ils n’ont pas fait mieux que les autres. Mais peut-être ont-ils eu un mérite particulier à le faire, en raison de leur sensibilité et de leur imagination plus vives qui aggravent les souffrances, et des habitudes de libre critique qui auraient pu leur rendre plus pesante l’inflexible discipline sans laquelle une nation ne peut ni se défendre ni vaincre.

Avec quelle abnégation ils s’y soumirent, avec quelle ferveur ils s’élancèrent vers leur devoir, parce qu’ils avaient la foi en la justice, en la sainteté de notre cause !

Quelle que fût « leur famille spirituelle », selon l’expression de notre Maurice Barrès, croyants ou libres penseurs, catholiques, protestants, israélites, républicains, monarchistes ou socialistes patriotes, tous savaient qu’ils se battaient pour sauver la France d’une domination orgueilleuse et tyrannique, pour mettre l’avenir laborieux de nos enfants à l’abri de nouvelles guerres.

Leur force et leur ardeur venaient de leur foi en l’honnêteté pacifique de la France. Ils se disaient que, menacée, molestée, humiliée maintes fois depuis plus de quarante ans, elle avait fait, pour épargner la guerre au monde, les plus rudes sacrifices d’amour-propre. Ils la savaient noblement et douloureusement irréprochable.

De même que, bien des mois avant la tempête, beau­coup d’écrivains avaient raffermi dans renne française la volonté de ne pas mourir, avec quelle conviction indignée et persuasive ils firent apparaître autour d’eux l’innocence de la France ensanglantée !

Et cette certitude les anima d’une telle flamme qu’un beau jour, après tant de périls et de souffrances, à demi morts, ils se relevèrent d’entre les morts pour nous apporter la victoire.

Héros joyeux, confiants et fiers, ils nous la mirent dans les mains avec des cris de délivrance et d’allégresse.

Qu’en avons-nous fait ? Les alliés surent-ils en profiter voir assurer une longue paix réparatrice ?

Les survivants sont là pour dire s’ils jugent que leur œuvre fut poursuivie avec une assez ferme clairvoyance, si les peuples défenseurs de la paix, du droit, de la liberté, surent préserver l’héritage que nous ont légué nos grands morts.

On a raison de célébrer leur mémoire en des cérémonies qui nous rapprochent d’eux.

Mais pour leur rendre un hommage vraiment digne de leur sainteté, le seul moyen est d’interroger fidèlement leur souvenir et de vouloir avec énergie ce qu’ils ont voulu.

Non par leur faute, leur sacrifice ne nous donne pas la complète sécurité qu’ils rêvaient pour nous et pour nos enfants. Hélas ! ils ne nous ont pas conquis, selon l’espoir qui les a soutenus, la certitude que cette guerre atroce serait la dernière des guerres.

Ils nous ordonnent, certes, de ne rien négliger des efforts qui peuvent assurer la paix au monde et le faire reculer d’horreur devant le spectre rouge de nouvelles tueries.

Mais puisque, en dépit de leur martyre, l’atmosphère a si peu changé, puisque — ô dérision ! — les risques d’aujourd’hui ressemblent encore si fâcheusement à ceux d’hier, quelle folie de ne pas nous en tenir aux vertus que, dans le péril, ils ont si noblement pratiquées et qui nous sauvèrent !

La concorde, le respect réciproque des croyances et des opinions, le travail sérieux et fécond, le mépris des querelles stérilisantes, le souci de maintenir intacts la force française et l’idéal français, l’amour d’une belle littérature humaine et vivifiante, voilà de quelles palmes il faut joncher le tombeau de nos morts.

Sinon, on les trahit !